Discussion
À ce jour, seules des études nécropsiques ont décrit des lésions de la muqueuse de l’intestin grêle chez les patients atteints de SSc14, 32 ; D’Angelo et al. 14 ont mentionné les atteintes suivantes de la muqueuse gastro-intestinale liées à la ScS : atrophie musculaire, dilatation et/ou fibrose de l’anse duodénale ou d’autres segments de l’intestin grêle (48 % contre 17 %). Dans une autre série nécropsique, des lymphatiques dilatés drainant la zone inflammée de l’intestin ont également été notés dans la ScS.30 Chez les patients atteints de ScS, de petites séries radiographiques, utilisant un repas baryté, ont montré des boucles dilatées du duodénum (70 %) et du jéjunum (71 %), et plus rarement des boucles dilatées de l’iléon, ainsi que des diverticules duodénaux/jéjunaux.13, 15, 32, 33 Cependant, ces séries précédentes concernaient toujours des patients atteints de ScS à un stade avancé qui ont subi une investigation radiologique pour des symptômes gastro-intestinaux. Ainsi, les patients atteints de ScS symptomatique peuvent représenter un sous-groupe présentant les troubles gastro-intestinaux les plus graves, ce qui entraîne une surestimation de la fréquence totale et des caractéristiques des anomalies de la muqueuse gastro-intestinale. En outre, le repas baryté est une méthode peu sensible pour représenter avec précision les lésions potentiellement hémorragiques de la muqueuse gastro-intestinale.
L’endoscopie vidéocapsule a été signalée comme un test utile pour l’évaluation des anomalies de la muqueuse gastro-intestinale.19, 31, 34-36 L’endoscopie vidéocapsule est, en fait, facile à réaliser et ne nécessite ni exposition aux radiations ni anesthésie générale19, 31, 34-36 De plus, les résultats de séries antérieures ont montré que l’endoscopie par vidéocapsule peut servir de marqueur fiable des lésions gastro-intestinales, car ce test est normal chez les sujets sains.19, 31 Cependant, à ce jour, il n’existe pas de grandes études sur l’endoscopie par vidéocapsule dans la ScS et, par conséquent, la prévalence des anomalies de la muqueuse gastro-intestinale n’a pas été déterminée chez ces patients. La présente étude, menée dans quatre hôpitaux universitaires, est, à notre connaissance, la première à évaluer les lésions de la muqueuse gastro-intestinale dans la ScS, en utilisant l’endoscopie par vidéocapsules. Nous avons trouvé une fréquence élevée (52%) d’anomalies de la muqueuse gastro-intestinale dans la ScS en utilisant l’endoscopie par vidéocapsules. Comme nous avons examiné 50 patients atteints de ScS sans aucune sélection préalable basée sur la présentation clinique, notre échantillon semble être représentatif de l’ensemble de la population atteinte de ScS. Dans l’ensemble, nos résultats montrent que les anomalies de la muqueuse gastro-intestinale sont prévalentes dans la ScS. De plus, l’étude actuelle souligne le fait que l’endoscopie par vidéocapsule est une méthode fiable pour révéler en toute sécurité les anomalies de la muqueuse gastrique et de l’intestin grêle dans la ScS. La qualité de nos études par vidéocapsule était excellente et complète chez tous les patients, et aucun patient n’a développé de complications liées à l’endoscopie par vidéocapsule.
Un autre résultat principal de cette étude est que l’endoscopie par vidéocapsule a montré une prédominance de lésions muqueuses vasculaires impliquant l’estomac (86,7% des lésions gastriques globales) et l’intestin grêle (# 50% des lésions intestinales grêles globales). Dans notre expérience, l’endoscopie par vidéocapsule a montré diverses lésions vasculaires potentiellement hémorragiques dans : (i) l’estomac : estomac de pastèque, angiodysplasie et télangiectasie ; et (ii) l’intestin grêle : angiodysplasie et télangiectasie impliquant le duodénum/jéjunum/iléum. En raison de la proximité de la capsule avec la muqueuse et de son haut degré de grossissement, l’endoscopie par vidéocapsule a permis une bonne définition globale des lésions vasculaires de la muqueuse gastro-intestinale, y compris l’estomac de pastèque. Dans des séries endoscopiques antérieures, l’estomac de pastèque a été signalé chez 5,6 à 22,3 % des patients atteints de ScS.2, 11 Dans l’étude actuelle, l’endoscopie par vidéocapsule chez les patients atteints de ScS a révélé que la prévalence de l’estomac de pastèque pouvait atteindre 18 % chez les patients atteints de ScS utilisant l’endoscopie par vidéocapsule. Chez nos patients, l’endoscopie par vidéocapsule a mis en évidence un estomac de type pastèque avec son aspect caractéristique de bandes érythémateuses proéminentes rayonnant en forme de rayons de l’antre au pylore. Des chercheurs ont également suggéré que l’endoscopie par vidéocapsule pourrait être utile pour détecter l’estomac de type pastèque.34-37 En effet, chez 128 patients présentant des saignements gastro-intestinaux obscurs et une gastroscopie normale, l’endoscopie par vidéocapsule a révélé un estomac de type pastèque dans 4,7 % des cas.34 Nos résultats sont conformes aux données précédentes. Parmi nos neuf patients atteints de ScS présentant un estomac de type pastèque détecté par endoscopie par vidéocapsule, trois patients présentant une anémie ferriprive présentaient une gastrite antrale à la gastroscopie. Ces données peuvent s’expliquer en partie par le fait que l’image de l’estomac en forme de pastèque à la gastroscopie peut être interprétée à tort comme une gastrite antrale ; en revanche, l’endoscopie par vidéocapsule peut être considérée comme une endoscopie « physiologique », sans qu’il soit nécessaire de gonfler l’estomac et de comprimer ensuite le système vasculaire (avec une diminution du flux sanguin dans l’ectasie vasculaire), ce qui entraîne l’apparition d’un estomac en forme de pastèque35. Dans l’ensemble, notre étude souligne le fait que l’endoscopie par vidéocapsule peut être un test utile pour identifier l’estomac de pastèque à un stade précoce, conduisant à une gestion et une thérapie appropriées chez les patients atteints de ScS.
En outre, la présente étude a montré que sept des 15 patients atteints de ScS (46,7%) présentaient de manière concomitante des lésions vasculaires gastriques et de l’intestin grêle. Ainsi, nos résultats suggèrent que les lésions vasculaires de la muqueuse gastrique et de l’intestin grêle constituent un continuum de la vasculopathie digestive liée à la ScS.
Bien que les mécanismes pathologiques de l’atteinte gastro-intestinale dans la ScS restent inconnus, il a été postulé que l’atteinte de l’intestin grêle dans la ScS peut résulter du développement progressif de lésions histologiques similaires à celles trouvées dans la peau2-4, 7-9 Les stades suivants de l’atteinte sclérodermique ont été proposés : atteinte vasculaire (grade 0), atteinte neurogène (grade 1) et atteinte myogénique (grade 2).2-4, 7-9 L’atteinte vasculaire (grade 0) peut provoquer à la fois une hypoperfusion et une ischémie intestinales, entraînant un dysfonctionnement subclinique précoce.2-4, 7-9 A l’appui de cette hypothèse, une étude prospective par débitmètre laser-Doppler endoscopique a démontré que le débit sanguin moyen des muqueuses duodénale et gastrique était significativement réduit chez les patients atteints de ScS, de 54% et 61%, respectivement, par rapport aux volontaires sains.38 Dans une autre série, les patients atteints de ScS ont également montré une réduction significative du débit sanguin de la muqueuse gastrique.39 Nos résultats sont en accord avec ces données antérieures. En l’occurrence, les lésions vasculaires de la muqueuse gastro-intestinale semblent survenir tôt dans l’évolution de la ScS. Tout d’abord, l’estomac de pastèque est plus souvent apparu dans les 3 premières années suivant le diagnostic de la ScS ; chez l’un de ces patients (11,1 %), l’estomac de pastèque a précédé le début de la ScS. Ces dernières données indiquent que l’évaluation de la ScS (y compris l’examen clinique, les anticorps antinucléaires, la vidéocapillaroscopie au pli de l’ongle) devrait être effectuée au moment du diagnostic de l’estomac de pastèque, car les manifestations systémiques peuvent précéder l’atteinte cutanée dans la ScS. Deuxièmement, la durée médiane de la ScS chez nos patients était courte (<5 ans), après le diagnostic des lésions vasculaires de la muqueuse de l’intestin grêle par vidéocapsule endoscopique.
D’un point de vue pratique, la connaissance des facteurs prédictifs des lésions muqueuses vasculaires gastro-intestinales potentiellement hémorragiques semble cruciale, afin d’améliorer le diagnostic précoce et la prise en charge de ce sous-groupe de patients atteints de ScS. Ainsi, un résultat pertinent de notre étude était une prévalence plus élevée de lésions potentiellement hémorragiques de la muqueuse vasculaire gastro-intestinale chez les patients atteints de ScSc que chez ceux atteints de ScSc, ce qui est en accord avec les données précédentes. Certains chercheurs ont, en effet, observé que les troubles moteurs gastro-intestinaux ont tendance à être plus importants chez les patients atteints de lcSSc.7, 9 De plus, dans une série de 264 patients atteints de ScS, environ deux tiers des 15 patients présentant un estomac de pastèque, présentaient un lcSSc.2
De plus, Sulli et al. 43, 44 ont mentionné précédemment que des scores NVC plus élevés (pour la perte de capillaires et la désorganisation) étaient corrélés à l’atteinte œsophagienne. Dans le cas présent, les patients atteints de ScS présentant des lésions vasculaires muqueuses gastro-intestinales potentiellement hémorragiques à la vidéocapsule endoscopique, par rapport à ceux qui n’en présentaient pas, ont plus fréquemment développé une vasculopathie cutanée sévère liée à la ScS, telle que des ulcères digitaux (86,7 % contre 57,1 %). Ce groupe de patients atteints de ScS présentait également des scores NVC plus élevés lors de la vidéocapillaroscopie au pli de l’ongle. Ainsi, notre étude démontre une forte corrélation entre la présence de lésions vasculaires muqueuses gastro-intestinales sur la vidéocapsule endoscopique ainsi que de graves : (i) une vasculopathie cutanée clinique (c’est-à-dire des ulcères digitaux) ; et (ii) des anomalies microvasculaires sur la vidéocapillaroscopie du pli de l’ongle, comme le montrent les valeurs plus élevées du score NVC. Il est intéressant de noter que nos résultats soutiennent la théorie selon laquelle la vasculopathie diffuse liée à la ScS est responsable à la fois des lésions vasculaires cutanées et digestives. Au total, notre série montre que la vidéocapillaroscopie au pli de l’ongle est un test utile pour la prise en charge des patients atteints de ScS. En fait, le score NVC devrait être calculé en routine, car il peut permettre d’identifier les patients atteints de ScS qui ont un risque plus élevé de développer des lésions vasculaires muqueuses gastro-intestinales.
L’étude actuelle souligne également une association marquée entre la présence de lésions de la muqueuse vasculaire gastro-intestinale et l’anémie ferriprive dans la ScS. Il est intéressant de noter que six de nos patients atteints de ScS présentant une anémie ferriprive et une gastroscopie normale, ont présenté des lésions muqueuses vasculaires impliquant l’intestin grêle lors de la vidéocapsule endoscopique. Ces derniers résultats montrent que l’endoscopie par vidéocapsule devrait être réalisée pour révéler la présence de lésions vasculaires de l’intestin grêle (télangiectasie, angiodysplasie) chez : (i) les patients atteints de ScS présentant une anémie ferriprive et une gastroscopie/coloscopie normale ; et (ii) les patients anémiques persistants atteints d’estomac de pastèque et atteints de ScS chez qui, après un traitement endoscopique approprié, la gastroscopie ne montre qu’une légère rémanence d’ectasie vasculaire antrale. A terme, cela pourrait permettre un traitement endoscopique mieux ciblé.
Un autre résultat principal de notre étude était qu’un patient atteint de ScS présentait une atrophie villositaire duodénale et jéjunale lors d’une vidéocapsule endoscopique systématique. L’analyse histologique des échantillons de biopsie duodénale a confirmé le diagnostic de la maladie cœliaque chez ce patient qui ne présentait aucun signe clinique de la maladie cœliaque. La recherche d’autoanticorps a révélé la présence d’anticorps anti-transglutaminase tissulaire. Trois études antérieures ont également révélé que la maladie cœliaque est plus fréquente chez les patients atteints de ScS que dans la population générale (4-8% contre 1%) ; la plupart de leurs patients atteints de ScS présentaient une maladie cœliaque asymptomatique.45-47 Dans l’ensemble, étant donné que la maladie cœliaque est associée à un risque accru de lymphome, nos résultats suggèrent que les tests de dépistage des anticorps cœliaques (anticorps anti-transglutaminase tissulaire) peuvent être utiles pour révéler la maladie cœliaque à un stade précoce chez les patients atteints de ScS.
Quelques chercheurs ont décrit une lymphangiectasie intestinale acquise dans la ScS, entraînant une entéropathie par perte de protéines.32, 48 Ils ont émis l’hypothèse que la lymphangiectasie acquise de l’intestin grêle pouvait être liée à une sclérose intestinale entraînant une obstruction lymphatique.32, 48 Dans notre étude, huit patients atteints de ScS présentaient une lymphangiectasie de l’intestin grêle lors de la vidéocapsule endoscopique. Néanmoins, un seul de ces patients présentait un syndrome de malabsorption et les sept autres patients ne présentaient pas de syndrome de malabsorption et/ou d’entéropathie avec perte de protéines.
Une dernière observation pertinente peut être tirée de notre étude. En effet, des auteurs précédents ont trouvé un risque accru de cancer pour la ScS.49, 50 Quant au mécanisme qui sous-tend cette association entre la ScS et une fréquence plus élevée de cancer, les dommages à l’ADN, induits par les espèces réactives de l’oxygène, à la fois dans les cellules mésenchymateuses et dans les cellules épithéliales adjacentes, peuvent être la cause principale de la transformation. Un taux plus élevé de cassures chromosomiques a été constaté dans les fibroblastes et les lymphocytes du sang périphérique, qui libèrent tous deux spontanément du peroxyde d’hydrogène, lequel diffuse à travers les membranes et endommage l’ADN.40, 41 Nous avons constaté que jusqu’à 4 % des patients atteints de ScS ont développé une malignité gastro-intestinale. Nos résultats indiquent que l’endoscopie par vidéocapsule est un test utile pour révéler un cancer gastro-intestinal dans la ScS.
En conclusion, notre étude montre à la fois l’utilité et la sécurité de l’endoscopie vidéocapsule pour identifier les anomalies de la muqueuse gastro-intestinale chez les patients atteints de ScS. Nos résultats mettent également en évidence une prédominance marquée des lésions muqueuses vasculaires gastro-intestinales potentiellement hémorragiques dans la ScS. Ceci suggère que l’endoscopie par vidéocapsule devrait être réalisée pour révéler la présence de lésions vasculaires de l’intestin grêle chez : (i) les patients atteints de ScS présentant une anémie ferriprive d’origine inconnue et une gastroscopie/coloscopie normale ; et (ii) les patients atteints de ScS présentant une anémie persistante et un estomac de pastèque chez qui, après un traitement endoscopique approprié, la gastroscopie ne montre qu’une légère rémanence de l’ectasie vasculaire antrale. La vidéocapsule endoscopique peut permettre un traitement mieux ciblé chez les patients atteints de ScS présentant des lésions gastro-intestinales potentiellement hémorragiques. De plus, notre étude souligne une forte corrélation entre les lésions vasculaires gastro-intestinales muqueuses et la présence d’une vasculopathie cutanée extra-digestive sévère (c’est-à-dire : ulcères digitaux et scores NVC plus élevés). Ceci soutient la théorie selon laquelle la vasculopathie diffuse liée à la ScS est responsable des lésions vasculaires cutanées et digestives. Par conséquent, nous suggérons que la CNV peut être un test utile pour la prise en charge des patients atteints de ScS. En fait, le score NVC devrait être calculé de manière systématique, car il peut permettre d’identifier les patients atteints de ScS qui présentent un risque plus élevé de développer des lésions vasculaires muqueuses gastro-intestinales potentiellement hémorragiques.