- Introduction
- De la vérité et du mensonge au sens non moral : La tromperie
- Sur la vérité et le mensonge dans un sens non moral : Les avantages de l’erreur
- La vérité est rare
- Sur la vérité et le mensonge dans un sens non-moral : l’honnêteté
- La vérité n’est pas ce que nous pensons
- Le perspectivisme décrit l’état réel des choses
- Modèle social de l’esprit
- Le langage est une poésie
Introduction
Je vais exposer l’important essai de Nietszsche De la vérité et du mensonge au sens non moral, le situer dans le contexte de son œuvre et soulever quelques questions.
De la vérité et du mensonge au sens non moral : La tromperie
La tromperie et le mensonge sont omniprésents et nécessaires dans l’existence humaine
Evidence : la vanité, les rêves, la flatterie, la superficialité de la perception, l’insignifiance insupportable de l’humanité, le » but » de l’intellect n’est pas la vérité mais la préservation, la dissimulation préserve les animaux humains qui n’ont pas de crocs, l’ignorance agréable du fonctionnement désagréable de nos intestins.
p. 142 : « malheur à la curiosité fatidique si jamais elle réussit » à détecter qu’elle « repose sur l’impitoyable, l’avide, l’insatiable, le meurtrier »
– Une intuition darwinienne combinée à la volonté de puissance. Nietzsche passe beaucoup de temps à attaquer Darwin, mais sa compréhension de la position de ce dernier est suffisamment pauvre pour nous permettre d’affirmer qu’en fait Nietzsche est beaucoup en sympathie avec la position réelle de Darwin. Par exemple, Nietzsche pense que Darwin soutient que la supériorité au combat l’emporte sur, par exemple, la subtilité, la tromperie, ce qui est loin d’être vrai. Dans tous les cas, Nietzsche attaque le plus férocement ce dont il se sent le plus proche. Ce que Nietzsche veut dire ici, c’est que nous avons besoin d’être ignorants – de nous mentir à nous-mêmes – au sujet de la place qu’occupe l’humanité au sommet de l’évolution, c’est-à-dire à l’endroit le plus dangereux et le plus mortel. Nous mangeons d’autres animaux parce que nous le pouvons.
Sur la vérité et le mensonge dans un sens non moral : Les avantages de l’erreur
Il peut y avoir une valeur de survie dans l’erreur. (En effet, il y en a une, voir McKay et Dennett sur The Evolution of Misbelief, où ils donnent de nombreux exemples. Les étudiants universitaires qui ont une image faussement positive de leurs propres prouesses réussissent mieux aux examens. Les patients « dans le déni » de la gravité de leur état s’en sortent mieux que ceux qui l’acceptent). Inversement, certaines vérités peuvent être néfastes. Voir : Existe-t-il des erreurs utiles ?
p. 143 : Le menteur « abuse des conventions établies en intervertissant arbitrairement ou même en inversant les noms des choses. » Il y a ici de nombreux précurseurs de thèmes majeurs ultérieurs de Nietzsche. Nous avons la réévaluation de toutes les valeurs que Nietzsche recommande comme un attribut important de l’Übermensch de Zarathoustra. Cela est nécessaire une fois que les conséquences de la mort de Dieu sont réalisées. Nous avons également la révolte de l’esclave dans la moralité décrite dans la Généalogie de la Morale (GM). Cela a changé le bien et le mal et a rendu l’humanité malade. La moralité médiocre du troupeau décriée dans Par-delà le bien et le mal devient possible.
NB – la nécessité et l’omniprésence du mensonge le rend non moral.
La vérité est rare
Nous possédons beaucoup moins de vérité que nous le pensons
Nietzsche sur la mémoire : l’oubli est la puissante force active ; une mémoire forte s’apparente à une indigestion paralysante. Nous devons oublier beaucoup de choses pour survivre par exemple les conséquences de nos actes doivent être oubliées pour éviter la paralysie (GM).
Il peut y avoir des vérités analytiques, mais elles sont inutiles. Par exemple, il est inutile d’inventer un nom (chameau) pour les mammifères qui vivent dans le désert et ensuite dire qu’il est analytique que les chameaux sont des mammifères. (C’est l’exemple de Nietzsche plus loin dans le texte.) Aucun progrès n’a été fait ici.
p. 144 : Toute autre vérité est très peu sûre. Les noms sont des métaphores. Connaître le terme « arbre » ne nous donne aucune vérité sur les arbres. Nous ne pouvons pas arriver à la chose-en-soi (Kant). Cela met fin à la science et à la philosophie ( !)
https://plato.stanford.edu/entries/kant-transcendental-idealism/
Nous avons besoin de beaucoup d’oubli pour même nommer les choses. Nous devons oublier les différences entre toutes les feuilles même pour appliquer le même nom à toutes. La première feuille est une métaphore pour toutes les autres. Une grande partie de la vérité est forcément écartée par cette méthode. Les concepts viennent des mots formés ainsi et sont donc traîtres.
Sur la vérité et le mensonge dans un sens non-moral : l’honnêteté
Il est intéressant que l’exemple de Nietzsche ici dans l’arène des caractéristiques personnelles soit l’honnêteté parce que c’est une qui a été d’abord étudiée empiriquement et a montré qu’elle n’existait pas. (Les écoliers qui trichent aux examens ne sont pas plus susceptibles de voler l’argent du déjeuner). De même, l’expérience du séminaire de Princeton montre que la compassion n’est pas un trait de caractère. La situation détermine bien davantage notre comportement. Nietzsche fait preuve d’une grande perspicacité psychologique dans ce que les psychologues appellent aujourd’hui l’erreur d’attribution fondamentale : The Psychology of Successful Trading.
Certainement, il y a des problèmes significatifs pour l’éthique de la vertu s’il n’y a pas de caractère à améliorer. NB2 – Sartre et l’existentialisme. Le faiseur est une fiction. Nous ajoutons le faiseur à l’acte.
Qualitas occulta = virtus dormitiva
La vérité n’est pas ce que nous pensons
La vérité que nous avons n’est pas telle que nous la pensons
p. 146 : La vérité est » une armée mobile de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes » c’est-à-dire qu’elle est ce que nous voulons qu’elle soit et n’a que peu de rapport avec quelque chose de plus fondamental. Notre vérité est fonction de ce que nous sommes. Elle ne doit même pas rester constante. (Comment pourrions-nous savoir si elle l’est ou non ? Cf. le problème de « la vitesse du temps » – passe-t-il à une seconde par seconde… ?)
Les vérités semblent solides simplement parce qu’elles existent depuis un certain temps.
La société produit une impulsion morale pour ne pas mentir. Mais Nietzsche méprise la moralité existante et la société existante. Il est donc à nouveau peu impressionné par la vérité. La société permet un ordre de classement, qu’ici Nietzsche dénigre. Cela peut être déroutant car ailleurs, il est favorable à l’ordre hiérarchique. Il doit donc vouloir dire que cet ordre n’est pas le bon. Une société ordonnée par la vérité pourrait, nous pouvons le supposer, permettre aux prêtres et aux esclaves de prospérer. Tel est le diagnostic de Nietzsche sur la corruption et la dégradation de la société moderne.
Le perspectivisme décrit l’état réel des choses
Le perspectivisme est vrai*
p. 148 : « la question de savoir laquelle de ces deux perceptions du monde est la plus correcte est tout à fait dépourvue de sens, car cela exigerait qu’elles soient mesurées par le critère de la perspective correcte »
Le perspectivisme est l’importante doctrine de Nietzsche, développée dans GM, selon laquelle il n’y a de vérité que dans une perspective – et aussi que l’individu le plus fort ou l’intellect le plus pénétrant peut entretenir simultanément plusieurs perspectives sur le même sujet ou la même idée. Ce n’est pas seulement vrai lorsque ces perspectives sont également contradictoires les unes des autres, c’est particulièrement vrai alors !
« Ce sont nos besoins qui interprètent le monde ; nos pulsions et leurs Pour et Contre »
Ceci ajoute au Perspectivisme l’idée que les différentes perspectives sont favorisées par les pulsions individuelles que nous avons.
Chaque pulsion est une sorte de soif de régner ; chacune a sa perspective qu’elle voudrait contraindre toutes les autres pulsions à accepter comme une norme.
La volonté de puissance, §481 (1883-1888)’
C’est le modèle social de Nietzsche de l’intellect comme une collection de pulsions concurrentes. Le moi est une illusion. C’est un parlement. Sur ce modèle, le moi est un Congrès fracturé, polarisé et tendancieux. Chaque élément a ses propres vérités. Pour Nietzsche, le moi fort ou précieux est un parlement dans lequel tous les membres/moteurs peuvent être entendus en même temps. Aucun n’est réduit au silence par un président autoritaire. Tous se déplacent vers l’expression.
Le perspectivisme est « l’antidote à la vérité ». C’est une conséquence de l’idée majeure de GM III : il n’y a pas de perspective de la vérité absolue, tout comme il n’y a pas de dieu. Cependant, le perspectivisme n’est pas un relativisme car il existe toujours un classement des perspectives. Cela signifie qu’en fait, Nietzsche n’est pas un nihiliste, malgré les fréquentes affirmations contraires.
*Que signifie « vrai » ? Nietzsche vient d’argumenter longuement qu’il n’y a rien qui soit vrai de la manière dont nous le pensons. Il ne dit pas réellement « le perspectivisme est vrai » pour cette raison. Il doit donc vouloir dire quelque chose comme « le perspectivisme est valable » ou utile. Cela conduit bien sûr à d’autres questions, telles que « quels sont les inconvénients du perspectivisme ? » et « comment pouvons-nous prouver que le perspectivisme est vrai ? »
Le langage est une poésie
Ce que nous appelons vérité n’est qu’une corrélation de significations chez toutes les personnes.
p. 149 : Un rêve éternellement répété « serait ressenti et jugé entièrement comme une réalité »
C’est une référence très précoce à l’importante doctrine de l’éternelle récurrence. Cette Doctrine apparaît pour la première fois sous une forme non ambiguë dans La Science gaie (Die fröhliche Wissenschaft, 1882.) Cet essai de Nietzsche, « Sur la vérité et le mensonge dans un sens non moral », date de 1873, ce serait donc un nouveau résultat de montrer qu’il avait déjà mentionné la Doctrine à ce moment-là. Nous devons nous rappeler que tous les écrits (publiés) de Nietzsche se déroulent sur une période de moins de 20 ans en réalité. La Naissance de la Tragédie a été publiée en 1872 et Nietszche devient fou en 1889. L’allemand est ici « wie ein Traum, ewig wiederholt » ; cf. La Doctrine en allemand : « Die Ewige Wiederkunft des Gleichen. »
La volonté de vérité est en fait une pulsion à former des métaphores.
La science est un faux-semblant comme le langage était une distorsion.
Voir aussi :
Nietzsche sur `ce que je dois aux anciens’ : Résumé
#Proust : Un argument pour la théorie de la #Simulation
Le compte rendu de la vérité par Nietzsche
Nietzsche favorise-t-il la morale du maître par rapport à celle de l’esclave ?