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Le métabolisme de la 6-mercaptopurine (6-MP) et de l’azathioprine (AZA) est complexe. L’azathioprine est un promédicament qui est converti de manière non enzymatique en 6-MP. La 6-MP est ensuite soit inactivée par la thiopurine méthyltransférase (TPMT) en 6-méthylmercaptopurine ou par la xanthine oxydase en acide 6-thiourique, soit activée par une voie enzymatique à plusieurs étapes en métabolites actifs putatifs, les 6 thioguanine nucléotides (6-TGN).1 L’activité enzymatique de la TPMT est déterminée génétiquement. L’activité enzymatique de la TPMT est déterminée génétiquement. Il existe une distribution trimodale de l’activité de la TPMT dans la population générale : une faible activité homozygote se produit à une fréquence de 0,3 % ; une activité hétérozygote ou intermédiaire se produit à une fréquence de 11 % ; et une activité homozygote élevée ou normale se produit à une fréquence de 89 %.2 Au moins 10 allèles variants pour la TPMT ont été associés à une activité enzymatique réduite (*2, *3A, *3B, *3C, *3D, *4, *5, *6, *7, *10). Les patients présentant une activité enzymatique TPMT faible ou intermédiaire dévient le 6-MP du métabolite 6-méthylmercaptopurine vers le 6-TGN. Des concentrations excessives de 6-TGN ont été associées à une leucopénie. L’application pratique de ces découvertes de pharmacologie clinique et les résultats des essais contrôlés randomisés chez les patients atteints de maladies inflammatoires de l’intestin (MICI) qui nécessitent un traitement par l’AZA ou le 6-MP sont examinés ci-dessous.
La première question que les cliniciens doivent se poser est de savoir quel médicament utiliser. Il n’existe pratiquement aucune information publiée concernant les propriétés immunosuppressives relatives de l’AZA ou du 6-MP. L’expérience clinique suggère qu’ils sont équivalents si les doses sont ajustées pour tenir compte des différences dans la teneur en 6-MP. Environ 88 % de l’AZA est converti en 6-MP. L’azathioprine contient 55 % de 6-MP en poids moléculaire. Ainsi, un facteur de conversion de 2,08 permet de convertir une dose de 6-MP en AZA. Les cliniciens surdosent souvent la 6-MP ou sous-dosent l’AZA parce qu’ils ne tiennent pas compte de cette conversion.
La deuxième question que les cliniciens doivent se poser est de savoir quelle dose d’AZA ou de 6-MP utiliser. Des essais contrôlés ont démontré que des doses d’AZA de 2,0-3,0 mg/kg/jour et des doses de 6-MP de 1,5 mg/kg/jour (équivalentes à une dose d’AZA de 3,0 mg/kg/jour) sont efficaces pour le traitement de la maladie de Crohn.3 Dans la pratique clinique, de nombreux cliniciens commencent le traitement avec une dose d’AZA de 1 mg/kg/jour ou de 6-MP de 50 mg/jour (moins de 1 mg/kg/jour) par crainte de toxicité. Cette approche n’est pas rationnelle et conduit à un sous-dosage des patients avec des taux de réponse sous-optimaux prévisibles. Deux études ont suggéré que la mesure initiale de l’activité TPMT (phénotype) ou du génotype pourrait être utilisée pour « personnaliser » la dose de médicament et réduire la fréquence de la leucopénie. Une étude a déterminé de manière prospective les génotypes TPMT chez 67 patients consécutifs atteints de maladies rhumatologiques qui commençaient un traitement par l’AZA à une dose de 2 à 3 mg/kg/jour.4 Six des 67 patients (9 %) étaient hétérozygotes pour l’activité TPMT, dont cinq ont arrêté le traitement dans le mois qui a suivi en raison d’une leucopénie (le sixième patient n’a pas adhéré au traitement). La durée médiane du traitement était de deux semaines (intervalle 2-4 semaines) dans le groupe présentant une activité TPMT hétérozygote et de 39 semaines (6-180 semaines) dans le groupe présentant une activité TPMT de type sauvage. Dans une deuxième étude, 41 patients atteints de la maladie de Crohn qui avaient développé une myélosuppression sévère (nombre de globules blancs <3000 ou nombre de plaquettes <100 000) au cours d’un traitement par AZA ou 6-MP ont été évalués pour le génotype TPMT.5 Quatre des 41 patients (10%) avaient une activité faible et sept des 41 (17%) une activité intermédiaire. Une leucopénie précoce a été observée chez les sujets présentant une activité TPMT faible ou intermédiaire, tandis qu’une activité TPMT normale a été observée chez les patients présentant une leucopénie tardive. Les résultats de ces études ont conduit à recommander que les patients présentant une activité TPMT normale reçoivent des doses standard d’AZA ou de 6-MP et que les patients présentant une activité enzymatique TPMT intermédiaire voient leur dose d’AZA ou de 6-MP réduite. Les patients présentant une faible activité TPMT en général ne doivent pas être traités par l’AZA ou le 6-MP en raison d’une mortalité élevée due à la leucopénie et à la septicémie.
La troisième question que les cliniciens doivent se poser est de savoir combien de temps l’AZA et le 6-MP mettent à agir. Present et ses collègues ont rapporté que le délai moyen de réponse chez les patients atteints de la maladie de Crohn traités par 6-MP était de 3,1 mois.6 Cependant, la fréquence des évaluations cliniques n’était que de 12 semaines, ce qui suggère que le délai de réponse peut être beaucoup plus court. Les 6-TGN ont une demi-vie de plusieurs jours ou plus. Les concentrations de 6-TGN à l’état d’équilibre apparaissent après 2 à 4 semaines d’administration orale d’AZA à raison de 2,0 mg/kg/jour.7 Un récent essai contrôlé de l’AZA dans la maladie de Crohn traitée par stéroïdes a suggéré que le délai de réponse était de 4 à 8 semaines.7
La quatrième question que les cliniciens doivent se poser est de savoir s’il faut ou non effectuer un suivi thérapeutique des concentrations de 6-TGN chez les patients atteints de MICI traités par AZA ou 6-MP. Deux études ont rapporté que les patients atteints de MICI traités par l’AZA ou le 6-MP qui répondent au traitement ont des concentrations médianes de 6-TGN plus élevées que les patients qui ne répondent pas au traitement89. L’étude la plus récente portant sur 93 patients atteints de MICI a rapporté que la concentration médiane de 6-TGN dans les érythrocytes chez les patients ayant répondu au traitement était de 312 pmol/8×108 globules rouges (GR), contre une concentration médiane de 199 chez les patients n’ayant pas répondu au traitement.9 Le point de rupture entre les deux quartiles inférieurs et les deux quartiles supérieurs des concentrations de 6-TGN était de 235 pmol/8×108 GR. Soixante-cinq pour cent des patients ayant répondu au traitement avaient une concentration érythrocytaire de 6-TGN >235, contre seulement 27 % des patients en échec thérapeutique. Les auteurs ont donc suggéré aux cliniciens d’ajuster les doses d’AZA ou de 6-MP pour atteindre des concentrations érythrocytaires de 6-TGN >235 pmol/8×108 RBC. Ces résultats n’ont pas été universellement confirmés. Deux études récentes n’ont pas montré de relation entre l’activité de la maladie et les concentrations de 6-TGN dans le sang total chez 170 adultes et 55 enfants atteints de MICI traités par AZA ou 6-MP.1011 Dans une autre étude pilote récente, l’administration directe de thioguanine a entraîné des concentrations médianes de 6-TGN dans les érythrocytes de 1 045 pmol/8×108 RBC sans atteindre uniformément l’efficacité ou la toxicité, ce qui suggère que la relation entre les concentrations de 6-TGN et l’efficacité et la toxicité est indirecte.12 Dans l’étude de Cuffari et de ses collègues13 dans ce numéro de Gut, les patients atteints de MICI n’ayant pas répondu au traitement par de très faibles doses d’AZA (1,1 (0,1) mg/kg), qui ne présentaient pas de leucopénie et dont les concentrations de 6-TGN étaient « subthérapeutiques », ont vu leurs doses d’AZA progressivement augmentées jusqu’à une moyenne de 1,5 (0,1) mg/kg/jour, avec une réponse clinique ultérieure et une augmentation des concentrations de 6-TGN chez de nombreux patients (voir page 642). Il est probable que le même résultat aurait pu être obtenu en administrant simplement les doses d’AZA qui se sont avérées efficaces dans la maladie de Crohn lors d’essais contrôlés (2-3 mg/kg/jour) dès le début, sans surveillance thérapeutique. L’utilité de mesurer systématiquement les concentrations de 6-TGN dans la pratique clinique reste incertaine.
Comment les cliniciens praticiens doivent-ils alors utiliser les preuves disponibles pour traiter les patients avec l’AZA ou le 6-MP ? Les patients doivent systématiquement être testés pour l’activité TPMT (phénotype) ou le génotype avant d’initier un traitement à l’AZA ou au 6-MP. Les patients présentant une activité TPMT normale ou un génotype de type sauvage doivent recevoir des doses de médicament dont l’efficacité a été prouvée dans des essais cliniques contrôlés (AZA 2-3 mg/kg/jour ou 6-MP 1,5 mg/kg/jour). Les patients présentant une activité TPMT intermédiaire ou les génotypes hétérozygotes doivent initialement recevoir une réduction empirique de 50 % de la dose de médicament (AZA 1-1,5 mg/kg/jour ou 6-MP 0,75 mg/kg/jour). Les patients présentant une activité TPMT absente ou les génotypes homozygotes à faible activité ne doivent être traités qu’avec une grande prudence, à des doses très faibles (environ 10 % de la dose standard), voire pas du tout. Les cliniciens doivent s’attendre à ce que l’effet clinique de l’AZA ou du 6-MP soit atteint en 1 à 2 mois environ. Le suivi thérapeutique systématique du 6-TGN chez les patients traités par l’AZA ou le 6-MP n’est pas nécessaire mais peut être envisagé dans certains cas : patients soupçonnés de ne pas respecter le traitement, patients recevant de l’allopurinol, patients présentant une activité TPMT intermédiaire ou faible, et éventuellement patients ne répondant pas aux doses standard du médicament. Les cliniciens moins expérimentés qui ne sont pas à l’aise pour prescrire les doses standard complètes d’AZA ou de 6-MP dont l’efficacité a été prouvée dans les essais cliniques peuvent être rassurés par la constatation en laboratoire d’une concentration de 6 thioguanine » sous-thérapeutique » et être ensuite convaincus d’augmenter la dose de médicament, comme l’expérience rapportée par Cuffari et al.
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