Malgré les nombreuses avancées récentes soulignées ci-dessus, notre compréhension de la signalisation des phéromones chez C. elegans est limitée, en particulier dans le contexte des habitats naturels et des interactions écologiques saillantes. Nous concluons cette revue en identifiant deux grandes catégories de problèmes auxquels les chercheurs dans ce domaine sont actuellement confrontés et suggérons des moyens par lesquels les biologistes des systèmes pourraient contribuer à cet effort :
I.
Production et perdurance des phéromones ascarosides dans les habitats naturels – Comment les phéromones communiquent-elles des informations sur l’expérience d’un individu ? Comment les individus rencontrent-ils les phéromones dans les environnements naturels ?
a.
Objectif 1 : Révéler la distribution spatiale des phéromones
On ignore dans quelle mesure les animaux libèrent des phéromones de manière constitutive ou situationnelle. On ne sait pas non plus si les molécules individuelles des mélanges de phéromones sont libérées indépendamment ou en impulsions coordonnées. La résolution de ces questions est nécessaire pour comprendre comment C. elegans perçoit les signaux des phéromones. Les ascarosides devraient se diffuser facilement dans les environnements dans lesquels vivent les nématodes. Cela soulève la question de savoir comment les animaux distinguent les signaux produits par différents émetteurs – gradients émanant d’une source ou » paquets » discrets de plusieurs ascarosides. L’imagerie par spectrométrie de masse est une technique qui peut potentiellement être utilisée pour caractériser la distribution spatiale de composés tels que les phéromones ascarosides.
b.
Objectif 2 : Déterminer comment les distributions de phéromones changent au fil du temps
On ignore en grande partie ce qui arrive aux phéromones ascarosides après leur libération dans l’environnement et si elles sont sujettes ou non à des modifications ou à une dégradation. Les différentes fractions chimiques et chaînes d’acides gras suggèrent que les taux de dégradation et de diffusion des différents ascarosides pourraient être différents. Des mesures expérimentales de ces taux pourraient aider à déterminer comment les animaux distinguent les différentes sources de phéromones et si les récepteurs pourraient estimer quand l’expéditeur a libéré le signal en se basant sur la dégradation ou la modification différentielle des différents composants ascarosides.
c.
Objectif 3 : caractériser les phéromones dans les échantillons naturels
Critiquement, les phéromones identifiées jusqu’à présent ont été détectées en laboratoire. Il est possible que différents ascarosides soient libérés dans les habitats naturels, en réponse à d’autres espèces de nématodes, à des agents pathogènes ou au régime alimentaire. En outre, les ascarosides provenant de sources non élégantes et présents dans les habitats naturels de C. elegans sont encore mal caractérisés. La métabolomique peut être utilisée pour recenser les phéromones présentes dans les échantillons environnementaux qui contiennent C. elegans.
II.
Perception des phéromones par les circuits neuronaux des récepteurs – Comment les messages communiqués par l’émetteur sont-ils déchiffrés par le récepteur ? Les vers pourraient-ils distinguer les messages honnêtes émis par leur propre espèce de ceux émis par d’autres espèces et tricheurs ?
a.
Objectif 1 : Relier expérimentalement les chimiorécepteurs de C. elegans aux ligands des ascarosides
Les C. elegans dédient probablement des dizaines, voire des centaines de gènes de chimiorécepteurs à la détection des ascarosides, mais la correspondance entre les ligands et les récepteurs est encore largement inconnue. Chez la drosophile et l’homme, des essais hétérologues à grande échelle ont été utilisés pour associer un grand nombre de récepteurs à des odorants spécifiques. Des approches hétérologues à faible débit ont été utilisées chez C. elegans pour identifier les récepteurs de phéromones, mais ces expériences pourraient être étendues à l’ensemble du génome. Les candidats prometteurs issus d’essais hétérologues pourraient être facilement testés in vivo à l’aide de CRISPR.
b.
But 2 : prédire in silico les paires ascaroside/chimiorécepteur
En parallèle, l’arrimage des ligands et la dynamique moléculaire peuvent être utilisés pour prédire les phéromones ascarosides liées à un chimiorécepteur donné, en s’appuyant uniquement sur les informations relatives à la séquence des protéines. En cas de succès, cette approche pourrait être étendue au nombre croissant de nématodes apparentés disposant de séquences génomiques. Comment la sensation d’ascaroside évolue-t-elle en fonction de la libération de phéromones chez différentes espèces ? Dans quelle mesure les espèces sentent-elles les ascarosides produits par d’autres espèces ?
c.
Objectif 3 : caractériser les neurones sensoriels utilisés pour le traitement des signaux ascarosides
L’identité des RCPG candidats liant les ascarosides pourrait être utilisée pour déterminer quels neurones les expriment, fournissant une carte détaillée de la partie sensorielle du système nerveux dédiée au traitement des signaux de phéromones. Couplée à une carte tout aussi détaillée (résolution d’un seul neurone) de l’expression des protéines Gα et à des expériences visant à identifier les contacts physiques entre les RCPG et les protéines Gα, elle permettrait de tester les hypothèses sur les mécanismes moléculaires qui donnent lieu à la spécificité et à la séparation des signaux qui caractérisent la détection des ascarosides par le système nerveux.