Implications structurelles
Le résultat de la modification de la protéine mutante contenant de la cystéine (K41C) avec de la bromoéthylamine est une enzyme assez proche de la RNase A de type sauvage. Pourtant, la valeur du kcat/Km pour la catalyse par la RNase A K41S-éthylaminocystéine n’est que de 8% de celle de l’enzyme de type sauvage. La différence entre les deux protéines doit résider dans les différences entre un groupe thioéther et un groupe méthylène. Bien que les angles des liaisons C-S-C aient tendance à être plus aigus que ceux des liaisons C-CH2-C, cette différence est compensée par la plus grande longueur des liaisons C-S.3g,14 La modélisation moléculaire indique que les groupes amine primaire de la S-éthylaminocystéine et de la lysine peuvent être superposés à 0,1 Å près. Une différence plus significative entre la S-éthylaminocystéine et la lysine est leur préférence relative pour les angles de torsion gauche plutôt qu’anti.15 La conformation anti des liaisons CC-CC est favorisée d’environ 0,8 kcal/mol dans les composés modèles.16 En effet, l’angle de torsion moyen K41 est de (175 ± 3)° dans le complexe de la RNase A avec le 2′,3′-uridine vanadate cyclique (U>v), un analogue putatif de l’état de transition (Figure 2). Contrairement aux liaisons CC-CC, la conformation gauche des liaisons CS-CC est favorisée de 0,05 à 0,20 kcal/mol.17 La modélisation moléculaire indique que la liaison CS-CC d’un résidu S-éthylaminocystéine en position 41 peut être dans la conformation gauche sans perturber la structure de la protéine native. Ainsi, les chaînes latérales thioéther en position 41 sont susceptibles d’être moins rigides et étendues que les chaînes latérales alkyle. Nous supposons donc que la catalyse par l’enzyme S-éthylaminocystéine n’est pas aussi efficace que celle de la RNase A de type sauvage en raison du coût entropique de la fixation d’un thioéther dans la conformation tout anti.
Structure du site actif de la RNase A liée au vanadate d’uridine 2′,3′-cyclique. La structure a été affinée à 2,0 Å à partir des données de diffraction des rayons X et des neutrons recueillies sur des cristaux cultivés à pH 5,3. La chaîne latérale de la phénylalanine 120 et la base uracile ne sont pas représentées.
L’efficacité catalytique dépend de la longueur de la chaîne latérale du résidu 41. Les variantes de la RNase A qui présentent un groupe amino à l’extrémité d’une chaîne latérale plus longue que celle de la lysine sont des catalyseurs plus actifs que la RNase A non modifiée K41C. Ainsi, une longueur supplémentaire est tolérée dans le site actif. Pourtant, les enzymes dans lesquelles un groupe amino en position 41 est séparé de la chaîne principale par 4 atomes sont plus actives que celles séparées par 5 atomes. Ce résultat pourrait provenir de l’entropie conformationnelle supplémentaire ou des angles de torsion défavorables des chaînes latérales plus longues.
Aucun avantage significatif n’est obtenu si le résidu 41 peut donner une seconde liaison hydrogène. Les groupes guanidino et acétamidino ont le potentiel d’interagir simultanément avec plus d’un oxygène d’un groupe phosphoryle. Par exemple, un groupe guanidino est utilisé pour lier les groupes phosphoryles par la protéine Tat du VIH-118 et par des récepteurs artificiels.19 De plus, dans la nucléase staphylococcique et les ribonucléases de la famille T1, une arginine semble jouer le rôle de K41 dans la RNase A.20 Nous avons remplacé K41 par un résidu arginine et un résidu S-acétamidino, qui est un analogue court de l’arginine. Les valeurs de ΔΔG‡ pour ces enzymes sont inférieures à celles des enzymes analogues avec seulement un groupe amino primaire dans la chaîne latérale de la position 41. Ainsi, une seule liaison hydrogène semble être suffisante pour effectuer une catalyse efficace. Ce résultat est cohérent avec le complexe cristallin de la RNase A avec U>v (figure 2). Le groupe vanadyle dans U>v est une bipyramide trigonale approximative avec deux oxygènes équatoriaux non pontants, O1V et O3V. L’oxygène O1V accepte une liaison hydrogène de la chaîne latérale de la glutamine 11 tandis que O3V accepte une liaison hydrogène de la chaîne principale de la phénylalanine 120. Seul O1V est en position d’accepter une liaison hydrogène de K41.
Implications mécaniques. Le rôle catalytique le plus souvent attribué à K41 est de stabiliser l’excès de charge négative accumulée sur les oxygènes phosphoryles non pontants pendant le clivage de l’ARN (Figure 2). L’accumulation de charge pourrait se produire dans un état de transition pentacoordonné (ou intermédiaire phosphorane) lorsque le groupe hydroxyle 2′ attaque le phosphore, sur le chemin du déplacement du nucléoside 5′. On a supposé que cette stabilisation se produisait par des interactions coulombiennes.12c,21 Mais, il a également été proposé récemment que la stabilisation se produise par le biais d’une liaison hydrogène courte et forte impliquant le transfert partiel d’un proton de K41.22
Les caractéristiques saillantes d’un résidu de lysine sont sa charge positive et sa capacité à donner des liaisons hydrogène. Trois des 5 enzymes semi-synthétiques ainsi que la K41R partagent ces caractéristiques. Il n’est pas simple de faire la différence entre une interaction basée uniquement sur les forces coulombiennes et une interaction basée sur les liaisons hydrogène entre deux espèces chargées. Ce qui suit est l’explication la plus simple qui est cohérente avec les données du tableau 1.
La distinction entre les liaisons hydrogène et les forces coulombiennes n’est nulle part plus évidente que dans une comparaison de l’enzyme S-éthyltriméthylaminocystéine, qui possède une charge positive terminale mais aucune capacité à donner une liaison hydrogène, et l’enzyme S-acétamidocystéine, qui a un amide N-H pour le don potentiel de liaison hydrogène mais n’a pas de charge positive. La faible activité catalytique de l’enzyme S-éthyltriméthylaminocystéine plaide fortement contre l’efficacité des forces coulombiennes dans la stabilisation des états de transition. Toutes choses égales par ailleurs, l’énergie d’une interaction charge-charge ne diminue qu’en fonction de l’inverse de la distance. Une distance plus grande entre la charge positive de la chaîne latérale et les oxygènes phosphorylés, par rapport à celle de l’enzyme S-éthylaminocystéine, est imposée par les groupes méthyles. Pourtant, il est peu probable que cette distance soit suffisante pour provoquer la réduction observée de >103 fois du kcat/Km, d’autant plus que les trois groupes méthyles pourraient facilement être logés à proximité des oxygènes phosphoryles (Figure 2).
On s’attend à ce que la force d’une liaison hydrogène soit inversement corrélée au pKa du proton donné, dans la mesure où la liaison hydrogène implique un certain degré de transfert de proton.23 Comme le montre le tableau 1, les augmentations du pKa correspondent effectivement à des diminutions du ΔΔG‡ pour les enzymes semi-synthétiques ayant des chaînes latérales de longueur comparable. Pour les enzymes semi-synthétiques dont la longueur des chaînes latérales est comparable à celle de la lysine, la corrélation est toutefois non linéaire. Ce manque de linéarité pourrait être dû au fait que le pKa de chaque chaîne latérale dépend de son environnement particulier dans la protéine native. En effet, le pKa de la Lys41 a été déterminé comme étant de 9,0,24 plutôt que de 10,6 comme indiqué pour l’ion butylammonium dans le tableau 1. Les différentes chaînes latérales peuvent être affectées à des degrés différents. Une autre source de non-linéarité, peut-être plus importante, est que les espèces chargées ont tendance à participer à des liaisons hydrogène plus fortes que les espèces non chargées. Ce phénomène a été observé pour les protéines25 ainsi que pour les petites molécules, y compris les amines.26 La comparaison d’enzymes semi-synthétiques dont les chaînes latérales sont isostériques mais diffèrent en charge formelle devrait révéler une telle tendance. Par exemple, dans les enzymes S-acétamidinocystéine et S-acétamidocystéine, les chaînes latérales en position 41 sont identiques, sauf pour l’un des deux hétéroatomes attachés au carbone terminal. Pourtant, la différence dans la capacité de ces deux chaînes latérales isologues à se lier à l’état de transition est plus grande que celle attendue à partir de leurs seules acidités. Ici, la liaison hydrogène donnée par une acétamidine chargée est plus forte de 4 kcal/mol que celle d’un amide non chargé. Cette valeur est cohérente avec d’autres données sur les forces relatives des liaisons hydrogène chargées et non chargées dans les interactions protéine-ligand.21 Enfin, il est intéressant de noter que, bien que la chaîne latérale S-acétamido n’ait pas de charge formelle et ait un pKa relativement élevé, elle contribue toujours (bien que modestement) à la catalyse. Ce résultat fournit une preuve supplémentaire de l’importance pour la catalyse d’une liaison hydrogène donnée par le résidu 41.
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