Bien qu’en apparence les humains et les iguanes n’aient pas grand-chose en commun, nous avons une chose en commun : nous éternuons, ce que font aussi d’autres animaux comme les chiens et les chats. Mais les humains sont uniques dans leur rituel complexe d’éternuement. Non seulement nous l’accompagnons d’onomatopées bruyantes, qui diffèrent d’une langue à l’autre et sont absentes chez les sourds, mais nous y répondons par une formule de politesse, singulièrement religieuse, de l’anglais « God bless you » à l’espagnol « Jesús ».
Et l’éternuement a une longue histoire culturelle, qui remonte à l’époque où des superstitions et des significations mystiques, comme les bons présages, lui étaient attribuées. Nous savons aujourd’hui que l’éternuement n’est rien d’autre qu’une curieuse réponse physiologique, un réflexe violent d’expulsion de l’air à l’aide d’un grand nombre de muscles. Dans le cas le plus général, les éternuements sont déclenchés par la stimulation de la muqueuse nasale par des agents physiques, tels que des corps étrangers, ou chimiques, tels que des irritants. Ce message d’irritation, initié par la libération d’histamine, est capté par les terminaisons nerveuses du trijumeau et transmis au bulbe rachidien, le centre de contrôle de l’éternuement, situé entre le cerveau et la moelle épinière.
Du bulbe rachidien, l’ordre d’éternuer est envoyé à divers systèmes du visage, de la gorge et de la poitrine. Nos yeux se ferment, nous inspirons profondément, la glotte se ferme, la pression dans les poumons augmente, et finalement la glotte s’ouvre et il y a cette expulsion impétueuse d’air, qui trouve une sortie par le nez et la bouche ; emportant, selon la théorie, la cause originale qui a provoqué l’éternuement.
Nuage de milliers de gouttelettes
Le résultat final est un nuage de milliers de minuscules gouttelettes dont l’expulsion ne dure que 150 millisecondes et dont la fraction la plus grossière tombe à quelques mètres, mais dont les plus petites particules peuvent parcourir jusqu’à huit mètres à travers une pièce entière. Comme un éternuement peut contenir des microbes pathogènes, il est recommandé de le contenir avec un mouchoir ou l’avant-bras, et non la main, pour éviter la propagation de l’infection.
La force de l’éternuement est telle que l’on rapporte des cas de dommages corporels, notamment une déchirure de l’aorte, et une patiente a même expulsé un implant dentaire par le nez. En revanche, selon un mythe populaire, personne n’a jamais expulsé ses globes oculaires de leur orbite en éternuant les yeux ouverts. Il est vrai que nous fermons automatiquement les yeux quand nous éternuons, mais cela est dû à une communication croisée entre les nerfs qui contrôlent le clignement des yeux et ceux impliqués dans l’éternuement.
Connexion nez-œil
La connexion nerveuse entre le nez et l’œil est à l’origine d’un autre phénomène unique : l’éternuement quand on regarde une lumière vive, comme le soleil. Les scientifiques l’appellent le réflexe d’éternuement photique, mais ils utilisent aussi un acronyme humoristique : ACHOO, qui signifie en gros syndrome d’éclatement hélio-ophtalmique impérieux autosomique dominant.
On dit souvent que l’ACHOO se produit chez jusqu’à 35 % de la population, mais une nouvelle étude en Allemagne porte ce pourcentage à 57 %. L’ophtalmologiste Alberto Parafita, du Complejo Hospitalario de Pontevedra, en Espagne, explique à OpenMind que l’ACHOO est un trait génétique qui se transmet selon un « modèle d’héritage autosomique dominant à pénétrance partielle ». C’est-à-dire que le trait n’est pas exprimé chez tous les enfants qui en héritent de leurs parents. «
Parafita est co-auteur d’une étude récente, dirigée par l’ophtalmologiste Carlos Sevillano, qui a étudié la structure de l’œil chez les personnes atteintes d’ACHOO à la recherche d’un trait anatomique qui pourrait être lié à ce réflexe. Les chercheurs ont constaté que 67 % des sujets examinés avaient des nerfs cornéens plus saillants que la moyenne, « c’est-à-dire plus visibles lors de l’examen ophtalmologique habituel », précise M. Parafita. Bien qu’il s’agisse d’un indice intéressant, les chercheurs restent prudents : « il peut y avoir une relation, bien que nous ne puissions pas dire qu’elle soit bien établie », conclut l’ophtalmologue.
Éternuement après un orgasme
Il existe d’autres cas encore plus particuliers documentés dans la littérature médicale : certaines personnes éternuent lorsqu’elles ont l’estomac plein, ou après un orgasme, ou même lors d’une simple excitation sexuelle. En bref, il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas sur ce réflexe. « Bien que l’éternuement soit une réponse réflexe protectrice, nous n’en savons guère plus », indique une revue publiée en 2009.
En effet, certains remettent en cause sa fonction supposée, celle d’expulser violemment l’agent provoquant la stimulation nasale. En 2012, le professeur émérite de l’Université de Sydney (Australie) et neuroscientifique William Burke a décidé de tester ce que tout le monde tenait pour acquis sans l’avoir prouvé : si l’éternuement était capable de traîner sa cause hors du nez. Et étonnamment, les expériences ont montré que ni la pression générée ni l’expulsion de l’air par le nez n’étaient suffisantes pour accomplir cette mission.
Dans son étude, publiée dans la revue Medical Hypotheses, Burke propose une théorie alternative : « la haute pression stimule les neurones sécréteurs par ramification dans le toit de la bouche ». La sécrétion nasale dilue la matière irritante dans le nez et l’empêche ainsi d’atteindre les poumons », écrit le scientifique. »
En d’autres termes : plutôt que d’expulser violemment un corps étranger comme le pollen, Burke propose que l’éternuement produise du mucus qui l’enveloppe afin qu’il soit finalement avalé ou évacué vers l’extérieur par le flux nasal. « De nombreux étudiants ont répété les expériences décrites dans l’article et l’ont confirmé », explique Burke à OpenMind. L’éternuement n’est plus une énigme mystique, mais c’est toujours un mystère scientifique.
Par Javier Yanes
@yanes68