En grandissant, j’ai fait en sorte de ne presque jamais avoir à entendre la question ‘Pourquoi tu pleures ? Es-tu une fille ? ! » que se posaient les autres garçons autour de moi. Je n’ai jamais vu mon père ou ses frères pleurer. Mais je ne peux pas en dire autant de ma mère ou des autres femmes de ma vie.
Il n’était pas normal que les garçons aient ouvertement les larmes aux yeux si nous étions blessés physiquement ou émotionnellement. Quand je pleurais, c’était bref, secret et discret.
Puis il y avait des occasions où les garçons pouvaient réellement pleurer ouvertement. C’était quand on voulait quelque chose. J’ai déduit sauvagement que c’était parce que pleurer à propos d’une blessure émotionnelle ou physique servait d’alarme pour l’épuisement possible de ressources limitées, tandis que pleurer pour obtenir quelque chose exposait un mal qui nécessitait une correction immédiate. Mais vous pouvez ignorer mes rêveries.
J’étais inconsciemment jalouse que les filles soient autorisées à pleurer librement en public, d’autant plus que les quelques fois où j’avais pleuré, j’avais fini par éprouver un sentiment de confort personnel, presque euphorique.
Pleurer est une façon de soulager l’énergie refoulée du corps. C’est aussi une alarme pour le foyer ou la communauté plus large afin que les personnes concernées, dont le cœur fond à cause de vos pleurs, puissent vous venir en aide. Un exemple serait celui des bébés dont les pleurs peuvent amener même des étrangers à s’inquiéter ou, à tout le moins, à s’irriter au point de vouloir, par exemple, « payer quelqu’un pour faire taire ce bébé ».
J’ai fréquenté une école secondaire anglicane réservée aux garçons à Cape Coast, au Ghana, qui a été construite par les colonialistes britanniques. Ici, beaucoup de mes camarades de classe ont été hospitalisés, et ont failli perdre la vie, à la suite de violents coups de fouet donnés par les enseignants, avec des cannes et d’autres objets. Leur refus de crier leur douleur rendait les professeurs plus furieux, et les poussait à frapper encore plus fort.
C’est comme si les larmes étaient le sang incolore de notre dignité. Peut-être aussi une réaction conçue pour les sadiques qui, pensaient nos ancêtres africains, tiraient du plaisir à nous voir souffrir. Des choses complexes.
Personne ne m’a vu pleurer violemment. Ce ne fut que brièvement, lors du décès de mes grands-mères, de mon grand-père roumain et de ma tante. J’ai aussi pleuré seule de temps en temps pour un membre de la famille qui était impuissant, et dont la santé se dégradait. Et j’ai pleuré quand ma mère a demandé à mon premier amour de rompre avec moi (ils m’ont tous les deux vu/entendu, mais j’étais trop écrasé pour m’en soucier).
Il y a quelques jours, j’ai pleuré pas moins de dix fois en regardant le film Mulan. Le film Coco m’a également fait pleurer. Je pense que c’est parce que je m’identifie fortement aux personnes qui se trouvent et sont acceptées par leur communauté pour ce qu’elles sont, tout en rendant leur famille et leur communauté fières et pleines d’espoir.
J’aurais tenté ma chance à Hollywood si je pouvais pleurer sur demande. J’ai toujours pensé que cela devait être la partie la plus difficile du métier d’acteur parce que mon éducation avait rendu si difficile de pleurer devant les gens, même dans la vraie vie.
Il m’a fallu du temps pour en arriver là, mais maintenant je pleure fièrement au point de le savourer. J’ai compris que le patriarcat est un piège invisible qui nous contraint, alors j’essaie de me libérer de ses pièges petit à petit, jour après jour.
Emmanuel Owusu Bonsu alias Wanlov the Kubolor est un auteur-compositeur-interprète, cinéaste et icône culturelle né en Roumanie et élevé au Ghana. Kubolor produit des talents qui ont des messages sociaux positifs car il est un défenseur des droits de l’homme et d’un environnement durable. Il est également un ardent défenseur des droits de l’homme au Ghana et s’exprime ouvertement sur la protection de l’environnement &la corruption. Kubolor est connu pour son humour, sa bravoure et ses opinions peu orthodoxes sur des sujets variés.
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