Abstract
L’Aripiprazole est signalé comme un antipsychotique ayant un bon profil de sécurité clinique. Cependant, des données récentes suggèrent que le risque de dyskinésie tardive pourrait être plus élevé que ce que l’on pensait initialement. Nous rapportons un cas de dyskinésie tardive induite par l’aripiprazole avec une évolution dramatique chez un patient présentant plusieurs facteurs de risque, notamment un âge avancé et une exposition à l’antipsychotique sur une période de plus de six mois. Ce cas et son évolution dramatique, associés à d’autres cas récemment publiés, suggèrent de reconsidérer le risque réel de dyskinésie tardive associée à l’aripiprazole, en particulier chez les personnes âgées.
1. Introduction
Les antipsychotiques de deuxième génération (SGA) diffèrent des neuroleptiques classiques par (i) l’antagonisme des récepteurs et (ii) des capacités de liaison plus faibles et une dissociation plus rapide des récepteurs D2 . La pharmacologie spécifique de l’aripiprazole (antagonisme des récepteurs et agonisme partiel, y compris des récepteurs D2) peut justifier sa classification comme antipsychotique de troisième génération agissant comme « stabilisateur dopaminergique » (agoniste ou antagoniste de la dopamine dans les états hypodopaminergiques ou hyperdopaminergiques, respectivement). En raison de leurs caractéristiques pharmacologiques, les SGA, et plus particulièrement l’aripiprazole, sont associés à un risque théorique plus faible de dyskinésie tardive par rapport aux neuroleptiques classiques. Plusieurs publications ont même présenté des cas cliniques avec une amélioration de la dyskinésie ou de la dystonie après le passage à l’aripiprazole . Cependant, les données publiées depuis la commercialisation de l’aripiprazole suggèrent que le risque de dyskinésie tardive pourrait être plus élevé que ce qui avait été initialement imaginé . Nous rapportons ci-dessous un cas de dyskinésie tardive induite par l’aripiprazole avec une évolution dramatique suivant 3 ans après l’interruption du traitement.
2. Description du cas
En 2011, Monsieur X, âgé de 74 ans, sans antécédents psychiatriques, a consulté un psychiatre en cabinet privé pour un épisode dépressif avec aboulie, anhédonie, apathie et tristesse. Il n’y avait pas d’antécédents psychiatriques familiaux significatifs. Les symptômes physiques étaient apparus quelques mois auparavant alors qu’il se plaignait de se sentir faible en raison d’une anémie chronique secondaire à une thrombocytose essentielle (mutation JAK2 positive) qui a montré une évolution très stable jusqu’à la fin de sa vie sous hydroxycarbamide. Le diagnostic psychiatrique posé à cette époque était un syndrome dépressif sévère associé à une anxiété majeure. Durant l’automne 2011, le patient a reçu une association d’escitalopram 10 mg/j et d’aripiprazole 5 mg/j. Cette prescription semblait cependant inappropriée car il n’y avait pas de symptômes délirants ou mélancoliques, et il n’y avait pas besoin d’une potentialisation immédiate de l’antidépresseur.
A la mi-2012, neuf mois après son introduction, l’aripiprazole a été arrêté par son nouveau psychiatre en raison des raisons énumérées ci-dessus, de l’âge du patient, et de mouvements anormaux précoces avec dyskinésie linguale-faciale-buccale et mouvements choréiques (membre inférieur). La symptomatologie dépressive a été partiellement améliorée par l’escitalopram en monothérapie 20 mg/j et a conduit à la disparition des pensées suicidaires, mais l’aboulie et l’anhédonie sont restées. Les données de l’IRM ne révélaient aucune lésion des ganglions de la base et du tronc cérébral en particulier. En mars 2013, malgré l’arrêt de l’aripiprazole, les mouvements anormaux restaient présents et ont conduit à l’introduction de la tétrabénazine 37,5 mg/j, associée ultérieurement au clonazépam 0,6 mg/j et au baclofène 10 mg/j. Cette association s’est toutefois révélée d’une efficacité limitée. Cette consultation neurologique a cependant confirmé l’origine iatrogène de la dyskinésie. Un traitement par clozapine est finalement refusé par le patient. En février 2014, une dyspnée d’effort avec un spasme diaphragmatique était apparue, suivie d’un stridor permanent dû à un laryngospasme huit mois plus tard.
Aucun autre traitement n’a été introduit. Parallèlement à l’état neurologique, l’état psychiatrique s’est détérioré avec une aggravation des symptômes dépressifs et anxieux, ainsi que des pensées suicidaires. La tétrabénazine, le clonazépam et le baclofène ont été arrêtés en novembre 2014 en raison de leur manque d’efficacité et de l’aggravation des symptômes psychiatriques. L’anxiété et les pensées suicidaires se sont améliorées au cours d’une hospitalisation lorsque l’escitalopram a été remplacé par la miansérine 30 mg/j. Les données IRM de 2014 ne montraient toujours pas d’étiologie organique à ces symptômes.
L’état neurologique du patient s’est de plus en plus aggravé avec (i) une dyskinésie orofaciale – affectant les muscles faciaux du cou et les muscles diaphragmatiques – et (ii) une dyskinésie du danseur du ventre. La détérioration neurologique a rapidement conduit à une aggravation de la dyspnée (stade IV de la NYHA en novembre 2014) dans un contexte d’insuffisance respiratoire restrictive. Début 2015, plusieurs cas d’hospitalisation étaient survenus dans les cliniques de neurologie et de pneumologie en raison de l’aggravation des mouvements anormaux et de l’insuffisance respiratoire. Lors de ces hospitalisations, le laryngospasme a été amélioré par des injections de toxine botulique, mais l’effet bénéfique s’estompe très rapidement. En mars 2015, la tétrabénazine 25 mg/j a finalement été réintroduite (avec du clonazépam 0,6 mg/j en juin 2015) pour la dyskinésie, sans grande efficacité. L’état mental du patient est resté stable jusqu’à son décès sous miansérine. Monsieur X a signalé à cette époque des épisodes de mauvaise humeur et d’anxiété concomitants à des exacerbations de la dyspnée. Le patient est décédé en juillet 2015 d’une crise cardiaque après une exacerbation de la dyspnée qui a duré plusieurs jours et une hyperthermie maligne au milieu de la canicule.
3. Discussion
L’aripiprazole est signalé comme un antipsychotique ayant un bon profil de sécurité clinique. Cependant, la prudence est recommandée et notre patient présentait plusieurs facteurs de risque de dyskinésie tardive, notamment un âge avancé, un diagnostic de trouble de l’humeur et une exposition à un antipsychotique sur une période supérieure à six mois . Dans l’ensemble, de nouvelles données remettent en question le fait que la dyskinésie tardive est moins fréquente avec l’APA qu’avec les neuroleptiques conventionnels. Plus précisément, une étude suggère un classement de l’incidence de la dyskinésie tardive associée aux APA dans lequel l’aripiprazole occupe une position intermédiaire : clozapine<quetiapine<aripiprazole<olanzapine=ziprasidone <rispéridone .
L’aripiprazole est associé à un meilleur profil de tolérance motrice en raison de son action dopaminergique spécifique. Les données pharmacologiques théoriques ont décrit que le blocage de plus de 80% des récepteurs D2 entraînait une diminution des symptômes psychotiques positifs mais aussi un risque accru d’effets secondaires moteurs. Cela pourrait expliquer la diminution des effets secondaires moteurs associés aux faibles doses d’aripiprazole. Mamo et al. ont rapporté que 10 mg d’aripiprazole entraînaient une occupation de plus de 80 % des récepteurs D2 striataux (les effets secondaires extrapyramidaux n’ont été observés que chez les participants dont l’occupation dépassait 90 %), alors que des études plus récentes ont montré que (i) 5 mg d’aripiprazole entraînaient une occupation de 55 % des récepteurs D2 striataux et (ii) 6 mg d’aripiprazole entraînaient une occupation de 74 % des récepteurs D2 striataux et de 51 % des récepteurs D2 frontaux. De plus, il est important de noter que les faibles doses thérapeutiques d’aripiprazole (c’est-à-dire 2 et 5 mg) sont associées à une occupation plus extrastriatale que striatale. La dyskinésie tardive induite par l’aripiprazole serait rare dans la littérature. A notre connaissance, seuls Peña et al. ont rapporté un cas clinique de dyskinésie tardive à faible dose (5 mg/j). Comme notre cas, il s’agissait d’une femme d’âge moyen, de 60 ans, qui a présenté des mouvements dystoniques oraux stéréotypés et rapides après 4 mois de traitement par aripiprazole. Ces données sont partiellement cohérentes avec notre cas clinique puisque les deux cas partagent des facteurs de risque, c’est-à-dire un âge avancé et une utilisation chronique d’aripiprazole. Selon les données précliniques, il existe des mécanismes potentiels autres que l’occupation classique des récepteurs D2 qui pourraient expliquer les dysfonctionnements moteurs induits par les antipsychotiques. Par exemple, la protéine Homer est impliquée dans de nombreuses régulations de neurotransmetteurs liées aux systèmes dopaminergique, glutamatergique et GABAergique et les souris transgéniques surexprimant le gène précoce immédiat Homer1a dans le striatum ont exprimé une détérioration des capacités motrices. Homer1a est connu pour être induit de manière différentielle par les antipsychotiques et l’expression du gène semble être induite (i) dans le putamen du rat par de faibles doses aiguës d’aripiprazole et dans le cortex uniquement avec des doses aiguës élevées et (ii) dans le cortex et le striatum latéral du rat avec un traitement chronique. Cette dernière condition peut être liée à l’induction striatale d’Homer1a observée avec l’halopéridol. Ainsi, il est possible que la régulation des gènes de la famille Homer induite par les antipsychotiques ait joué un rôle dans le dysfonctionnement striatal et, à son tour, dans la dyskinésie après l’administration chronique d’aripiprazole.
Notre cas et son évolution dramatique, associés à d’autres cas récemment publiés (voir, par exemple, ), incitent à reconsidérer le risque réel de dyskinésie tardive associée à l’aripiprazole. Enfin, l’utilisation de l’aripiprazole pour l’amélioration de la dyskinésie tardive pourrait ne pas être une stratégie de soins particulièrement sûre compte tenu des risques spécifiques de la molécule et de l’absence, à ce jour, d’études prospectives à long terme.
Intérêts concurrents
Les auteurs ne signalent aucun conflit d’intérêts.